« La mise à mort » [PV : Zohéir, Alcro, Liam]

Le ciel azur était éclairci en cette journée. Le vent soufflait à un rythme régulier. Le soleil illuminait la capitale de Satras de tous ses rayons. Une journée habituelle, direz-vous. Or cela était loin d’être le cas.

Il n’était pas habituel qu’un dragon se dépose discrètement derrière la cour centrale.

Il n’était pas courant qu’une exécution se déroule dans la ville.

Il n’était pas prévu qu’un incident se profile à l’horizon.

Pourtant, c’était bien le cas.

Un dragon de glace déchira le ciel jusqu’alors tranquille et se posa à l’arrière d’une cour où une foule impressionnante se mouvait. Une estrade était érigée en l’occasion. Où sur cette même estrade se déroulerait bientôt l’exécution d’un élémentaire de l’ombre. Pas n’importe lequel, Zohéir X’enlil. Le même homme auquel deux jeunes gens comptaient bien rendre sa liberté.

L’agitation de la foule de personnes qui s’était réunie en ce lieu était très animée. Certains criaient, parlaient, ou discutaient avec conviction. D’après ce qu’on pourrait croire, tout le monde avait l’air enthousiasmé de l’évènement qui allait suivre. Tous, sauf trois.

**
*

Eleana descendit du dos du dragon en un bond. Une fois au sol, elle s’épousseta légèrement avant de se redresser. Elle tendit les oreilles, de là où elle était, elle pouvait entendre la foule. Cette-même foule qui acclamerait l’exécution de Zohéir. La jeune femme était exaspérée par l’hypocrisie que pouvait montrer certain. Car cela, elle en était sûre, la plupart d’entre eux ne devait pas être si content qu’un homme aux pouvoirs au service de l’ombre meurt exécuté.

La chasseuse de prime et Alcro avaient déjà un plan bien précis en tête. En effet, vu l’ampleur de l’événement auquel ils allaient s’interposer, il ne devait avoir aucune erreur notoire. Chacun savait ce qu’ils avaient à faire, dans les moindres détails.

La Filante prit une grande bouffée d’air avant de se tourner vers son compagnon. Après un dernier regard entendu, elle l’enlaça brièvement avant de tourner les talons, lui souhaitant bonne chance par la même occasion.

Elle s’arrêta juste à côté d’une rue qui longeait la cour. Elle entama son union avec l’Air environnant se servit de ce dernier pour rendre son corps incolore. La jeune femme brune se déplaça à pas de loup, attentive au moindre bruit.
Bientôt, elle se raidit. Un bruit se fit entendre un peu plus loin sur la route. Bien. Elle se cacha derrière un mur, en face de la route en question. Elle patienta quelques secondes avant de se rendre visible. La jeune Alpha n’attendit pas plus longtemps. Elle se mit à courir vers la route. Un bruit de roues se fit entendre à quelques mètres d’elle. Celle-ci feignit un grand étonnement et se jeta à terre pour rouler sur le côté, évitant les roues de justesse. Un grand carrosse sombre se tenait juste devant elle. Eleana acceléra volontairement sa respiration, afin de mieux se montrer crédible. Elle resta là, allongée sur la route, le haut du corps à peine redressé grâce à l’appui de ses coudes.

Une silhouette sortit de l’engin et s’approcha d’elle. Elle eut un sourire mental en constatant que c’était celui qu’elle attendait.

Impuissance.
C’était un grand mot. Un bien grand mot. Mais il ne restait qu’un piètre euphémisme pour décrire la position critique de Zohéir en cet instant. Ce dernier ne se souvenait de rien. Juste du néant. D’un homme et du néant. Il connaissait son nom maintenant. Il ne connaissait que lui. Liam. Seules ces quatre lettres parvenaient encore à briser son visage à la mine de chien battu, désespéré. Et Eleana, aussi. Six nouvelles lettres qu’il pensait perdues. Il gardait les yeux clos. La tête basse. Il se sentait vulnérable. Faible, aussi fragile qu’une infime brindille. Un sentiment désagréable parcourait ses veines et se fondait furtivement dans tout son corps : la peur. Une peur grandissante et dévorante, une peur des autres, une peur du pardon, une peur du tort, une peur de la fin, de la mort, du néant, une peur de l’improbable, une peur de la réalité, une peur de la vérité, du pêché, du gouffre. Une peur de la souffrance. Peur de sombrer éternellement, sans pouvoir jamais rendre l’âme. Il avait peur. Un nœud s’était formé dans son ventre. En vérité, ce nœud avait toujours demeuré, là, tapis au fond de son corps. Dans son cœur, il s’était logé. Dans son âme, il avait inscrit ses serments au fer rouge. Et ce jour-là, la peur l’attisait et le resserrait à un tel point que Zohéir en souffrait aussi physiquement.

Désespoir.
Il se sentait mis à nu. Dévoilé aux regards haineux des autres. De tous ces gens malsains, ces stéréotypes imparfaits, ces moutons de panurges face à lui. De tous ceux qui riaient de sa détresse, qui crachaient devant sa peine, qui injuriaient ses torts et prenaient sa maladie mentale comme un jeu. De tous ceux qui avait bêtement demandé : « Pourquoi tu ne parles pas ? Pourquoi tu ne souris pas ? ». Un long frisson glacé remonta dans le dos de Zohéir. La proximité de la foule face à lui l’effrayait. Il sentait le regard arrogant des personnes peuplant la place braqué sur lui et peser sur ses épaules. Tous ces yeux qui le scrutaient, qui l’épiaient à n’en plus finir. Il avait l’impression qu’on lui arrachait la peau pour pouvoir plus facilement observer son âme déchue. Voilà pourquoi Zohéir n’osait pas ouvrir les yeux. Une goutte de sueur glacée avait tracé un sillon humide sur sa tempe gauche. Il serra les dents et les paupières. Le vide en lui prenait une ampleur phénoménale. Et alors qu’il attendait sa fin, des souvenirs lui revinrent. De beaux souvenirs. Il pensa.

Je me souviens. C’était un soir d’été, il faisait un peu trop noir. J’étais dans cette caverne, isolée. Dans cette caverne où ma peur grandissait comme un petit arbre. Un petit arbre vraiment tout petit et tout maigre, mais qui deviendra peut-être un jour un grand chêne. J’avais peur de ma peur. Je ne la contrôlais pas, elle m’échappait. J’étais dans cette caverne, le bras blessé, transpercé par la lame de cette jeune et belle Filante. Elle me disait son nom, je répondais le mien. Elle me posait des questions, je fixais sa main. J’étais loin d’elle, j’avais peur de la vie qui brillait sur sa peau. La mienne, blanche comme le polystyrène, était morte. Je lui répondais toujours, par de petites phrases. De petites phrases comme le petit arbre qui deviendra chêne. « Zohéir, avait-elle dit. Zohéir, cela te va bien. Moi c’est Eleana. » Eleana. Cela te va bien aussi, tu sais. C’est très beau. J’aime ce qui est beau. J’avais peur d’elle. Mais j’ai fait un pas. J’étais recroquevillé contre le mur de la caverne, un soir d’été où il faisait trop noir. « Tu es bien un homme peu commun. » avait continué Eleana. Je ne veux pas être peu commun. Je voulais être comme elle. Je voulais être normal. Je voulais que ma peau me donne un air vivant et que mes yeux brillent comme les tiens.

Ma peur rapetissait quand Eleana me parlait. Elle me parlait comme à une personne normale. Comme si je n’étais pas muet. Comme si je n’étais pas fou. Comme si je n’étais pas un tueur. Un arbre peut-il encore rapetisser ? « Je sais très bien que tu es un assassin. Et tu sais quoi ? Ça ne me fait ni chaud ni froid. J’en suis une aussi. » Je le sais. Je l’ai vu quand tu m’as vu. Je l’ai senti sous ta lame qui a transpercé mon bras. J’ai toujours une cicatrice. Je la garde, elle est mon seul souvenir de toi. Tu aimais voyager, moi aussi. Tu n’avais pas peur, moi si. Je suis un petit arbre, Eleana. Un petit arbre qui ne deviendra pas le grand chêne. Parce que je ne suis pas comme toi. Moi, au bord du gouffre, je n’ai pas d’attache. Je n’ai pas ces mains qui me font continuellement remonter à la surface. « Oui, je reste avec toi. » avait dit Eleana. Je l’avais cru. J’ai eu mal quand elle est partie. J’ai eu mal dans mon cœur, là, touches. Tu sens ? Il bat. Comme le tiens, tu as vu ? Je trouve ça magique, je n’ai jamais compris pourquoi un cœur bat. Mais à voir, ça doit être jolie. Sauf que je ne peux pas le voir. Mon petit cœur de petit arbre est coincé dans mon ventre. Et il me fait mal.

Eleana ne savait pas que j’étais fou. Moi si. « Je te trouve tout sauf inintéressant, Zohéir. Tu ne m’effraies pas. Et j’ai… confiance en toi. Je crois même que je t’apprécie assez. » tu m’avais dit ça avec tes yeux qui brillaient tout autant. Je ne savais pas si tu mentais ou pas, mais je préférais croire que non. Sinon, mon petit cœur allait encore me faire mal et ma folie aussi. Tu étais sincère, tu me l’as dit. Eleana m’avait donné sa confiance, je lui avais donné la mienne. Je ne savais pas qu’on pouvait donner la confiance. Je n’en avais pas assez, je voulais la garder pour moi. Mais j’en ai quand même donné à Eleana. Je crois même que je lui ai tout donné. Mes mains tremblaient. Je te crois. Je t’avais parlé. Je te crois. Je voulais toucher ta main. Je voulais toucher ta peau qui te donnait cet air vivant. Tu m’as dit oui. C’était tout chaud. C’était tout doux. Comme les feuilles des arbres lorsqu’elles viennent de naître. Je voulais rester dans cette caverne avec Eleana. Un étrange sentiment me faisait mal au cœur, mais je voulais rester quand même. Quand je lui ai parlé, Eleana m’a souri. Elle m’a enlacé. Son corps entier était chaud. Comment fais-tu pour garder tant de chaleur ? Je n’y arrive pas, moi.

Tu m’as embrassé sur le front. Tes lèvres aussi étaient chaudes. J’avais peur. C’était si court. C’était si doux. « Merci. » m’a dit Eleana. Je ne savais pas ce que cela voulait dire. Tout le monde le dit, mais pas moi. Je ne parle pas. Je me souviens que ma mère me disait souvent de dire merci. Alors j’ai pensé que ce mot était bien. Et il est devenu bien. Je t’ai remercié à mon tour. Je ne savais pas trop pourquoi. Merci pour tout. Merci, je savais finalement ce que cela signifiait. Mais je ne voulais pas me l’avouer. « La nuit est tombée. » a dit Eleana. J’ai eu peur qu’elle ne parte. Mais elle est restée. Un jour, j’avais deux trous dans le bras. Deux trous d’un serpent. Dans le bras, pourtant, j’avais mal partout. Je pensais que j’allais enfin mourir. J’étais encore un petit arbre, un tout petit arbre, mais je n’avais plus peur. Parce que tu étais avec moi, à côté. Il y avait ta chaleur, un soir d’été un peu trop noir. Et ce jour-là aussi. Tu m’as sauvé. Tu m’as embrassé. Je ne te l’ai jamais dit, mais tu le sais, j’en suis certain. Le petit cœur dans mon petit ventre, il battait vite. Trop vite. C’est ça l’amour ? C’est pour ça que j’avais mal ? C’est pour ça que je souffre encore en pensant que je ne t’ai jamais dit que je t’aime ? Un soir d’été, peut-être, lorsqu’il fera trop noir, je te l’avouerai. J’étais un petit arbre rempli d’espoir. Désillusion.

Douleur.
Zohéir songea à cet instant qu’il n’avait jamais ri. Jamais. Pas une seule fois dans sa vie. Il ne savait pas comment on faisait. Personne ne lui avait appris. Personne n’avait été là, au bord du gouffre avec lui, pour le retenir à chaque fois qu’il tombait, jusqu’à ce qu’il trouve lui aussi son juste équilibre. Il se trouvait à genoux sur l’échafaud, les mains liées dans le dos, les chevilles attachées ensemble. Ne manquait plus que Liam et ce serait la fin. Il n’avait jamais dit « Je t’aime. » non plus. Il n’avait jamais souri. Juste aimé. Aimé cette femme dont il avait si peur d’oublier le nom. Cette femme à qui il avait offert toute sa confiance. Le petit cœur de son petit ventre battait plus vite. Car il savait. Il savait au fond de lui qu’il ne la reverrait plus. Le gouffre était en train de le happer complètement. La chaleur avait disparu. Le petit cœur dans le petit ventre allait cesser de battre.

Spoiler:

La joie procurait par la souffrance d'autrui était un sentiment étranger à Alcro.
L'idée même que l'on réussisse à trouver de l'optimiste en ce qui n'était que désolation et tristesse lui était inconcevable. Il avait beau être passé par toutes sortes de phases peu gaies, il ne s'était jamais satisfait de sa souffrance intérieure et avait tout fait pour l'éviter en la remplaçant par d'autres souvenirs plus joyeux.
Alors lorsqu'il vit tous ces gens, attroupés autour d'un échafaud où était ligoté pieds et mains un jeune homme, l'animux n’éprouvât que révolte, rancœur et profond dégoût. Il avait entendu parler des Nécrosoris, de leurs méfaits et de leur perpétuelle soif de pouvoir sur tout Esephia, afin de n'y instaurer que chaos et ténèbres. Il était resté sourd devant l’exécution des élémentaires d'ombre et de lumière, pour un crime dont personne n'avait pu prouver l'authenticité. Les malheurs étaient nombreux à travers les différents peuples qu'hébergeait Esephia, alors un de plus, un de moins … Lorsque Alcro se souvint de cette affreuse pensée, il déglutit et se maudit intérieurement. La seule image de l'elfe, présenté tel un vulgaire animal que l'on doit abattre, et tous ces individus rassemblés autour de lui se réjouissant de cette mise à mort avait suffi à le convaincre qu'il n'était plus acceptable qu'il ferme les yeux devant ces cruautés.
Quand le dragon se posa non sans discrétion dans une cour dissimulés par d'importantes bâtisses, il en avait désormais la conviction : il appartenait au camp des résistants.
Eleana et lui glissèrent jusqu'à terre, et, après une rapide étreinte, se quittèrent d'un pas déterminé. La jeune Filante se dirigea vers une calèche qu'ils avaient repéré un peu plus loin à dos de leur dragon, et qui convoyait sûrement le Nécrosoris tenu d'organiser l’exécution. Alcro, lui, avait une toute autre mission, non mois dangereuse … Il tourna à l'angle d'un bâtiment et déboucha sur la grande place, bondée de monde, et où l'ambiance était survoltée. Il prit une profonde inspiration, s'y faufila sans peine sans quitter un seul instant l'elfe des yeux. Deux gardes l'entouraient.
Il allait devoir le libérer, coûte que coûte …

~*~

Au bout d'un quart d'heure, après avoir retourné la situation sous tous les angles possibles, il ne voyait qu'une seule solution. Il envoya un message télépathique à son dragon Könto et observa Zohéir qui sembla enfin déceler sa présence parmi tous ces inconnus qui n'avaient qu'une chose en tête et à la bouche : sa propre mort …

Une ombre survola la grande place. Les têtes se redressèrent dans une harmonie parfaite, les yeux affolés cherchèrent le responsable de ce qui avait pu déranger leurs conversations, si importantes fussent-elles lorsqu'elles tournaient autour du mari volage de la voisine ou encore du beau Nécrosoris qui devrait arriver d'une minute à l'autre …
Le ciel azur ne présentait pas la moindre tâche de blanc, témoin d'une chaleur exceptionnelle assaillant le pays depuis plusieurs jours. Les soupirs d'agacement et de soulagement fusèrent ci et là, et le tumulte assourdissant reprit.
L'ombre refit son apparition. Les râles d'exaspération se firent de plus en plus intenses … avant d'être remplacé par des cris de surprise et de stupeur.

« - Un dragon ! » s'écrièrent les passants.

Et alors que tout ce joyeux monde s'agitait dans tous les sens en hurlant, Alcro, qui était monté sur l’échafaud par derrière, souriait de contentement, les bras croisés sur son torse musclé. Il comparait la scène à celle d'un enfant arrosant une fourmilière, d'où s'échappaient une multitude de petites bêtes qui buttaient entre elles, complètement affolées, tentant vainement de sauver leur peau alors qu'elles n'avaient aucune chance. Tous ces gens grouillaient de partout, sous les souffles glacés de son dragon Könto qui les gelait sur place.

Le vacarme singulier du convoi tiré par deux chevaux était perceptible à près de cinq cent mètres à la ronde. Les plaines bordant la capitale étaient en ce jour ensoleillé presque désertes. Les remparts de la cité se dressaient non loin de là, fières murailles érigées en près de dix ans, construites dans un style architectural propre à la nation des Vampires et qui leur valait une certaine renommée. Ces êtres buveurs de sang avaient toujours eu sale réputation, que ce soit sur Esephia que sur cet étrange monde que l'on nommait « Terre ». On les accusait de voler littéralement la vie d'autrui, de n'être que des aberrations de la nature, des êtres sanguinaires et sauvages que l'on ne pouvait même plus qualifier « d'humanoïdes ». Des bêtes assoiffées de sang qui sèment la mort pour elle-même subsister. Au fil du temps, leur réputation sur Esephia s'est redressée, elle l'enrôlement de Satras dans l'une des Alliances, Eternial, leur a permis de carrément devenir l'une des plus grandes puissances mondiales. Aujourd'hui, l'image d'un vampire n'est en nul point négative, bien au contraire … La calèche s'ébranla légèrement, et les roues quittèrent les sentiers de terre battue pour gagner les ruelles pavées de la ville.
Liam aurait dû être fier d'être un vampire. Mais en ces êtres supérieurs aux autres part leurs capacités physiques quelques peu décuplées et leurs crocs capables de tuer en un instant, il ne voyait qu'impuissance et infériorité. Il méprisait profondément ses semblables … Le jeune vampire posa sa plume, roula son parchemin et le rangea dans une mallette avant de se détourner vers la fenêtre exiguë.
Sauf que Liam n'aimait personne.
Une étrange ombre passa sur les bâtiments, alors que le ciel était d'un bleu parfait. Le nécrosoris n'y prêta pas davantage d'attention. Il était concentré sur sa mission du jour, à savoir : exterminer l'élémentaire d'Ombre qu'il avait capturé quelques jours plus tôt. Le souvenir de leur combat lui arracha un grognement sourd. L'elfe était particulièrement agile et précis dans ses gestes. Liam avait beau eu avoir à faire à des combattants bien plus expérimentés, cette rencontre qui avait failli lui être fatale lui était restée au travers de la gorge … Alors qu'il se levait pour attraper un livre entreposé sur une étagère, la calèche s'ébranla violemment, accompagnée des hennissements des chevaux. Le convoi bifurqua, rasa de près un mur et s'immobilisa enfin. Le vampire, qui s'était tenu à une étagère avec tant de force que ses phalanges blanchirent, soupira et fronça les sourcils. Pourquoi devait-il toujours tomber sur des cochers incompétents ?! Il ouvrit l'une des deux portes du carrosse d'un coup de pied rageur et sauta à terre.
Sa colère s'envola soudainement lorsqu'il croisa les yeux gris d'une jeune femme couchée sur la route, haletant, surprise et effrayée. Elle était d'une rare beauté et tout en elle respirait la force. Liam n'était peut-être qu'un Nécrosoris à l'âme souillée par le sang qu'il avait pu verser jusqu'ici, aux sombres desseins et au cœur plus dur que la pierre …
… L'appel des désirs primitifs et universels ne le laissait pas insensible.

« - Vous n'êtes pas blessée ? » demanda-t-il d'une voix à peu près courtoise, tandis qu'il lui proposait sa main en guise d'aide.

Une chose était sûre. Eleana ne s’attendait pas à ça.
D’accord, elle avait entendu parler de la puissance des Nécrosoris, de la noirceur de leur âme, de leur roublardise et de leur soif de puissance, voire de vengeance. Elle se sentait prête à faire face à l’un d’eux, se répétant qu’elle avait vu pire. Mais ce qu’elle vit la stupéfia.
Lorsque le concerné arriva à sa hauteur, la jeune femme brune ne réagit tout d’abord pas. C’était un jeune homme, de son âge environ, qui se trouvait en face d’elle. Il avait des cheveux ébène en bataille, une silhouette athlétique, des épaules larges, des muscles saillants, un visage aux traits durs ainsi qu’un regard noir profond. Mais ce n’est pas cela qui étonna la Filante. Oh non, elle n’était pas impressionnée par sa carrure. Mais bien par l’aura de puissance qu’il dégageait, l’assurance qu’il témoignait, ainsi que son air sûr de lui. Si elle n’avait pas eu de rôle à jouer, la jeune Alpha aurait sans aucun doute froncé les sourcils. En effet, car un homme sûr de lui peut s’avérer dangereux. Très dangereux. Surtout quand ce dernier se révèle être un Nécrosoris réputé. Dans tous les cas, l’adepte de l’Air devait se méfier sérieusement de cet-individus-là. De prendre en compte ses capacités, et de se rendre compte de ses points faibles au plus vite. Pour mieux le réduire au silence par la suite …
Heureusement que la jeune femme savait parfaitement cacher ses émotions, et ainsi, mentir avec aisance. Sinon, cet homme-là l’aurait tué sans hésitation s’il se serait douter ne serait-ce qu’une seconde de ses intentions.

-Vous n’êtes pas blessée ? Demanda-t-il sur un ton qu’elle jugeait d’à peu près aimable.

Enfin, aussi aimable que le puisse être un homme de son camp.
Mais Eleana ne s’en formalisa pas. Après tout, ce n’était pas vraiment à elle de juger ainsi ce genre de personne. Vu ce qu’elle était.
Elle eut un sourire satisfait intérieur en croisant le regard soudainement remplit d’intérêt du fameux jeune homme. Han, ainsi donc, elle ne le laissait pas indifférent. Soit, la chose sera plus aisée. Et puis, franchement, elle aurait pu tomber pire. Elle s’en montrait légèrement satisfaite. Mais comme d’habitude, ne le laissa nullement paraître.
La jeune femme se saisit de la main tendue du Nécrosoris en le regardant dans les yeux, sans aucune défiance pour autant. Elle se releva, en se rendant bien compte de ses mouvements fluides de Filante. Tout était calculé. Bon, autant jouer le jeu à fond, se dit-elle. Son visage de marbre se fendit en un sourire ravageur, alors que ses yeux gardaient une lueur farouche.

-Oh non, il en faut plus pour me nuire … A qui ai-je l’honneur ? Dit-elle d’une voix enjôleuse.

Oui, elle était sûre d’elle. Sûre de son coup. Elle ne raterait pas. Elle le détailla de haut en bas. Un sourire lourd de sous-entendu fleurit sur ses lèvres écarlates.

-Ainsi donc, vous êtes un Nécrosoris. Votre aura de puissance vous distingue bien des autres.

Elle finit par lâcher doucement la main du jeune homme, dont elle n’avait pas quitté depuis sa tirade. L’Elémentaire de l’Air lui lança un sourire espiègle. Malgré tout, son regard demeurait intimidant, voire farouche encore.

-Vous vous rendez à l’exécution de cet Elémentaire de l’Ombre ? Elle désigna le bâtiment où tout se déroulait, plusieurs mètres plus loin. Oh, ainsi donc, vous êtes l’homme qui l’a capturé, je me trompe peut-être ?

Eleana ne sourcilla pas, et ne quitta pas le regard sombre du jeune homme. Non, elle voulait bien lui montrer qu’elle n’était pas une femme naïve, superficielle, voir cruche. Bien tout le contraire : intelligente, confiante et forte. Les Nécrosoris n’aimaient pas la faiblesse. Comme Eleana d’ailleurs, mais à un degré bien différent, bien entendu. Mais elle pouvait toujours le lui faire croire …