Maybe under the Moon [Pv Chino]

Maybe under the Moon
Pv Chino

Les aiguilles de la montre à gousset émettaient un petit déclic presque inaudible, en concurrence avec le crissement du galet sur la lame. En un geste mécanique, Zohéir s’attardait à affuter la lame de son épée. Cela faisait une semaine. Sept jours exactement qu’il en avait fait l’achat. Car mine de rien, les meurtres du misanthrope lui rapportait un budget plutôt convenable et ces nombreuses années passées à ne rien dépenser et à voler lui avait forgé une bourse assez remplie pour acheter cette magnifique épée à la lame de cristal noir. Zohéir n’avait rien fait à la légèrement. Il avait longtemps observé cette arme d’une grande valeur sur l’étalage du marchand, ne le quittant pas des yeux du haut de son toit. Puis après avoir écouté de nombreuses conversations positives et enjouées au sujet de cette épée forgée dans du cristal noir, Zohéir s’était enfin décidé à quitter l’ombre pour acheter cette arme. En effet, elle lui avait vidé presque complètement sa bourse. Mais cela en valait la peine. À la garde aussi noire que l’obsidienne et en forme de dragon, l’épée était aussi légère que fine et se maniait avec une aisance déconcertante. Le cristal étant réputé pour être un matériau très résistant lorsqu’il est convenablement forgée, en particulier le cristal noir, l’arme était incroyablement résistante et encaissait chocs après chocs sans jamais faillir. Elle était mystérieuse. Elle était unique.

Dissimulé en haut d’un clocher bringuebalant et abandonné, Zohéir polissait l’épée sans relâche depuis plus d’une heure. Autour de lui, les piliers de bois qui maintenaient difficilement la toiture et les cloches lui servaient pour ses entraînements. Car cela faisait une semaine qu’il était ici, ne descendant qu’une seule et unique fois pour aller chercher des vivres et de l’eau. Car s’entraîner le ventre vide n’était pas très pratique. Sur les piliers, le misanthrope avait ficelé à la hâte de piètres bouts de bois à l’horizontale qui mimaient les bras de potentiels ennemis. Mais cet entraînement que Zohéir s’était imposé n’était en réalité qu’un rabâchement des années passées. Car durant celles-ci, il n’avait jamais utilisé l’épée mais apprit à manier le poignard à un niveau très élevé. Et lorsqu’il se trouvait encore à l’hôpital psychiatrique, les médecins donnaient parfois un bâton au misanthrope pour qu’il puisse se défouler et évacuer sa haine et sa colère. Le jeune elfe s’était alors endurci et avait appris à manier l’épée en s’entraînant contre des ennemis imaginaires qu’il esquissait parfois à la craie sur les murs de sa cellule. Un des médecins, ayant pitié de lui, lui avait aussi enseigné quelques techniques. Et les autres, Zohéir les avait appris tout seul avec le temps ou en combattant ses ennemis. Aujourd’hui, il maniait l’épée avec une telle fluidité qu’on aurait pu penser qu’il avait fait cela toute sa vie. Ce qui était totalement faux. Mais le jeune elfe avait une capacité à assimiler les techniques les unes après les autres avec une facilité peu commune. L’hypothèse qu’il s’était fait était celle-ci : « Je n’ai jamais rien appris dans ma vie. Alors tout ce que je peux apprendre comble la vacuité de mon esprit. »

***

Assrah. Encore et toujours. Ces temps-ci, Zohéir revenait de plus en plus dans cette région d’Eséphia, pour diverses raisons. Et la routine qui circulait inlassablement en ce lieu le plongea dans une dépression sans nom. Heureusement, il y avait Eleana, la seule personne pour qui le misanthrope vivait vraiment, sans pour autant savoir ce que la jeune Filante ressentait pour lui. Mais peut-être qu’au fond, il ne désirait pas le savoir, de peur de terminer en désillusion. Le soleil était à son zénith lorsque Zohéir atteignit ce village. À quelques kilomètres de la côté et de la cité portuaire de Stersa, ce patelin écarté du monde était le lieu qui accueillerait le prochain meurtre du jeune elfe. Ne comptant pas plus de deux milles habitants, ce village était cerclé de vignes et de cépages qui s’étendaient sur plusieurs kilomètres à la ronde, peut-être même jusqu’à la mer. Zohéir ne connaissait pas le nom précis de cet endroit mais les rares paysans qu’il avait croisés en route l’appelaient « Le Bout du Monde ». Il était vrai que, pour se rendre dans un tel endroit perdu, il fallait vraiment avoir une très bonne raison. Sa nouvelle épée au côté, le misanthrope entama sa descente entre les cépages, progressant agilement et furtivement jusqu’au petit village.

Une fois en plein cœur de ce dernier, le jeune elfe s’empressa d’aviser une gouttière et s’en servit pour atteindre les toits. Une fois en hauteur et à l’abri des regards, Zohéir partit à la recherche de sa victime. Il s’agissait d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, orienté vers les études. Le misanthrope ne l’avait vu qu’une seule et unique fois et gardait de lui une image plutôt pessimiste. Pas forcément physique, plutôt sobre côté look, mais plus mentalement. Narcissique, prétentieux, avare, lâche. Oui, c’était à peu près un bon résumé de son portrait intérieur. Et cet homme était l’enfant unique d’un des médecins de l’hôpital psychiatrique qui avait malmené Zohéir durant toutes ses années. Ne pouvant atteindre son père désormais trop haut gradé dans la médecine, le misanthrope s’attaquait donc au fils pour assouvir son désir de vengeance. Et les recherches furent plus longues et plus dures que prévues. Le village était peut-être petit mais le jeune elfe ne pouvait pas fouiller chaque maison. Et il n’avait pas l’adresse précise de sa victime, juste sa vague localisation. Durant un instant, Zohéir crut même s’être trompé de patelin, ce qui était possible et plausible comme hypothèse.

Au bout de trois heures, vers cinq heures de l’après-midi, le jeune elfe dénicha enfin sa victime sur les rives de la petite rivière traversant le village. Il se trouvait un peu en dehors de ce dernier et semblait s’atteler à la passion de la pêche. Le misanthrope s’avança furtivement et stoppa à un mètre de lui, dans son dos. Il fit volontairement du bruit pour attirer l’attention sur lui et, lorsque sa victime se fut retourné, une expression interrogative puis paniquée sur le visage, Zohéir lui trancha la tête. D’un vulgaire coup de pied, il envoya celle-ci coulé dans la rivière, bientôt suivit du corps. Mais alors que le jeune elfe s’apprêtait à quitter cet endroit et que le soleil commençait à atteindre l’horizon, une ombre se dessina sur le sol.