La Révolte des Petits Pois
For Nunnally, une promesse est une promesse.

Et si, dans nos assiettes de cantine,
Les petits pois pouvaient bouger ?
Ne pensez-vous pas que ce serait digne
De manger un légume d’une fière lignée ?

« Je suis un petit pois. Depuis toujours, évidemment. Dans mon monde, dans ma réalité, il n’y a pas de sorcières, comme dans les contes et les légendes, qui jettent des sorts malfaisants pour transformer leurs victimes en diverses créatures tout aussi repoussantes les unes que les autres. Moi, je ne suis pas n’importe quel petit poids. Je suis Petit Vert Kaki -Vert Caca d’Oie, pour les intimes- cinquante-et-unième du nom. Je suis le fier descendant d’une glorieuse ligné de Petits Pois Bonduelle. Jamais je ne trahirai ce titre, cet honneur est trop grand, trop important pour des petits poids. Je suis unique. »
Ou pas.
« Cause toujours, le surgelé. Moi, je suis un frai, un vrai. Un mou de mou, pas un caïd, un carpaccio. Les carottes, elles peuvent aller scier leur touffe verdâtre tandis que je referai leurs portraits candides en une face… épluchée. Mouhahaha. Rhm. Reprenons. En tant que petit pois, j’ai déjà tout vécu. Enfin presque. La récolte dans les champs, ce qui fait de moi un véritable écologiste à fond sur Eva Jolie, la mise en conserve dans des usines Bonduelle et enfin, la vente sur le marché, dans un grand magasin du nom de Super U. La classe, pas vrai ? C’était la belle vie, avant. Nous étions tous serrés les uns contre les autres dans nos boîtes de conserves et les plus claires de nos discussions restaient :
- Tu me roules sur la gueule, Caca d’Oie.
- Ah, désolé maman, mais c’est papa qui s’est endormi sur mon cul.
Enfin bref. Nous ne nous plaignions pas car nous savions de source sûre que notre vie n’était pas si mal, en comparaison par exemple à celle des œufs, condamnés à vivre en solitaire dans leur coquille et l’interstice de leur boîte de carton. »
« Puis vint un jour où, près de ma date de péremption, je m’inquiétais de mon triste sort, et notre boîte de conserve fut enfin achetée -après tout, quand la date de péremption est proche, les prix baissent de 50% donc bon. Nous avons été livrés à une entreprise dont je n’avais jamais entendu le nom et qui s’appelait : « Collège Pierre & Marie Curie » Etait-ce un grand restaurant ? Un jeu télévisé culinaire ? Nous ne savions pas. Tout ce qui m’interpela fut le mot « Curie » qui me fit tout de suite penser que nous allions passer un bon moment dans ce nouvel endroit. »
T’avais tort.
« Effectivement. Un midi, le mardi 12 juin 2012, je m’en souviens encore, nous furent servis sur un immense plateau et métal où plongeait systématiquement une large cuillère. Elle semblait piocher entre nous pour ensuite nous déverser dans une assiette de porcelaine que d’étranges humanoïdes sans poils, à part sur la caboche, prenaient. Et le mieux dans tout cela, nous étions cuits. Ce fut une véritable cérémonie que celle de notre cuisson. Nous dansions la danse de la pluie tant l’évènement était grand. Je me souviendrais toujours de cet instant où ma mère roula près de moi, se colla à moi et hurla de douleur quant à la nouvelle chaleur de mon corps verdâtre et encore plus mou qu’avant. »
Sadique.
« Bref. Finalement, ce fut notre tour de passer dans la grosse cuillère et de terminer dans l’assiette d’un soi-disant « élève », comme les fourchettes d’à côté les nommaient. Notre avons alors pénétré dans une immense salle circulaire où une multitude d’étranges humanoïdes sans poils à part sur la caboche -appelons-les les « EHSPAPC »- nous… mangeaient. La panique fut à son comble dans l’assiette, de nombreux d’entre nous tentèrent vainement de s’échapper mais il était déjà trop tard, l’EHSPAPC déposait déjà son plateau sur une table. La fourchette survola les plats et, tandis que le stress montait en nous, nous appréhendions l’instant où l’élève allait nous dévorer. Après tout, nous le savions, tel était le destin de chaque petit poids.
- Prenez garde à vous ! Sieur Vert Kaki ! m’ordonna un haricot non loin d’ici.
Je hochai la tête tandis que la fourchette revenait déjà à l’assaut. Puis tout à coup, alors qu’un silence pesant s’imposait et que l’ennemie semblait hésiter, personne ne bougeait, quelqu’un s’écria :
- À l’attaque !
C’était mon père. Déjà, alors que la fourchette piquait droit sur nous, tous les Petits Pois Bonduelle et leurs fiers descendants s’élancèrent à l’assaut de l’ennemi avec des hurlements de rage. Le couteau se joignit à nos assaillants et nous barra le passage vers la sortie sur les bords de l’assiette. Je levais les yeux alors que nos deux ennemis s’abattaient sur nous, et tout devint noir. »
Suspense de merde.
« Ta gueule, c’est pour faire genre. Bref, suite à cette mésaventure, Verte Pomme -en réalité, c’est Verte Pisse, mais chut, faut pas l’dire-, ma mère, finit écraser sur le carrelage de la cantine. Une mort digne d’une descendante de Petits Pois Bonduelle, comme dirait mon père juste après sa mort. Il ne versa pas de larmes, notre pauvre et maigre jus nous est bien trop précieux. Puis il mourut peut de minutes plus tard, engloutit par une bouche pleine de crocs acérés et surmontée de deux fines saucisses qui tenaient par la sainte Tomate. Le haricot qui m’avait prévenu un peu avant prétend que cela s’appelle des « lèvres ». Je n’ai rien dit. Après tout, chacun ses fantasmes. Ma sœur, Green Day s’appelle-t-elle -oui, c’est bien de là que le groupe de rock tient son nom, je vous assure- ne fut ni manger, ni écraser. Elle finit engloutit par une immense bouche noir surmontée d’un petit panneau rouge où était inscrit en blanc : « Poubelle ». Je pense qu’elle mérite ce tombeau honorable, dont je ne connaissais pas l’identité et l’existence auparavant. »
« Quant à moi, et bien, moi… Vous voyez, vous les humains, quand vous piochez votre fourchette dans les bacs à couverts ? La petite crotte verte bien dégueu collée entre les serres du couteau ou au dos de la petite cuillère… c’est ce qu’il reste de moi. »
« Alors, bon appétit. »

Bro.