Sous le soleil de plomb d'Anakat, je volais, paisiblement, faisant une ronde qui ne m'avait été ordonnée par personne, mais que je faisais volontiers, voyageant par delà le royaume, certes, loin de l'eau que je chérissait, mais profitant de la remarquable vue que m'offraient ces magnifiques paysages

Cela faisait maintenant plusieurs heures que je survolais le désert. Je n'avais pas soif, étant donné que je créais de l'eau fraîche à volonté. Pour une fois, je décidai de me poser, foulant le sable chaud, sec, mais si réconfortant. Les grains de sable passaient entre mes orteils. Je ne résistai à la tentation de céder, pour une fois, à mon âme d'enfant. Je me laissai tomber dans le sable m'enfonçant un peu plus en bougeant mes membres, me recouvrant du sable avec plaisir. Quel gamin, pensais-je, dix-huit mille ans, et tu te laisses tomber dans le sable comme... Comme... Comme un enfant. Que je ne suis plus... Soupir.

Depuis quand ? Depuis quand n'avais-je plus regagné mon âme d'enfant ? Depuis quand n'étais-je pas redevenu, l'espace d'un instant, un bambin insouciant ? Comme... Comme... Comme... avant. J'allais succomber à une déprime nostalgique.

-Non, criais-je.

Je me relevai, d'un bond, et époussetai rapidement le sable de mes épaules. Je grognais. Quel imbécile, j'avais fait s'infiltrer des grains de sable dans cette armure que je ne quittais jamais, qui me protégeait jour après jour, qui était pour moi comme une seconde peau. Je me calmais. Après tout, c'était une armure égyptienne. Elle en avait vu d'autres...

Soudain, mon armure vibra. Enfin, pas tout à fait. Ce n'était pas l'armure entière. Simplement ma ceinture, mon fourreau, l'arme qui m'avait tant aidée. Je tirai mon épée de mon fourreau, et observais longuement sa lame. Qu s'était-il passé ? L'épée m'échappa, et alla se ficher dans le sable, un peu plus loin. Ah, tiens. Une boussole. Mon épée serait une boussole ? Je ne réfléchis pas, et la rangeait dans mon fourreau, tout en continuant de marcher, suivant la direction qu'elle m'indiquait, mue par une étrange force, comme si un aimant géant se trouvait à proximité...

Cependant, la source du pouvoir étrange qui faisait se mouvoir mon épée semblait encore loin. Et puis, j'avais chaud. Aussi, je m'assis en tailleurs, m'arrêtant un moment pour récupérer. Je créai autour de moi une bulle d'eau, opaque sur le dessus. Bien. Je peux reprendre ma route, pensais-je. Je flottais dans ma bulle d'eau, me dirigeant dans la direction qu'indiquait l'épée et slalomant entre les dunes.

Au bout de quelques temps, je débouchai dans un village. Il était plein d'animation, il y faisait bon vivre. Les maisons de roche jaune s'accordaient avec le désert si proche... Du linge pendait sur des fils suspendus, des hommes et des femmes faisaient de la poterie, d'autres s'occupaient de la bière du village – qu'ils vendaient ensuite très cher – pendant que les enfants jouaient. Entre brûlants rayons du soleil et ombre rafraîchissante, les villageois souriaient constamment. Ils me regardaient, certes avec une certaine jalousie, en voyant ma bulle, et avec étonnement, mais continuaient à sourire, même à le vue de l'épée à ma taille. Puis, ils retournaient calmement et tranquillement à leurs occupations.

A travers le dédale des ruelles, il me fallut bien une demi-heure pour sortir de ce petit village... Bien que je retourne dans l'aridité du désert, un moment de calme avec moi-même me serait bienfaisant. Je me remis à marcher, le cœur léger, et continuais tranquillement ma route. Après seulement quelques minutes, je m'arrêtais au sommet d'une dune, et observais devant moi une immense cuvette. Il me vint une idée. J'avais vu, au village que je venais de traverser, des femmes revenir éreintées de leur voyage pour chercher de l'eau... Je n'avais mis que trois à quatre minutes pour venir ici. Et si... Et si je forçais le destin à faire une bonne action ? De petits nuages gris se formèrent au dessus de moi. Enfin, « de petits » était une faible mot... A mon signal, il se mit à pleuvoir. Il pleuvait tant et tant que je ne créais pas un lac, mais une nappe phréatique, une source, qui se remplirait à chaque saison des pluies. Je retournais eu village et, ne souhaitant pas d'effusions de politesses et de reconnaissance, je décidais de mouiller le sable, sous mes pas. Ainsi, le premier qui passerait suivrait les traces vers le lac, où il découvrirait mon cadeau. Je ne m'attardai pas plus ici, et repris mon planant chemin vers l'endroit que m'indiquait l'épée.

Un quart d'heure plus tard, j'arrivais devant un second village. Le sourire aux lèvres, je m'engouffrais dans celui-ci. Mais, à mon grand étonnement, il n'y avait pas âme qui vive. Même mon épée se calma et redevint inerte. C'était comme si tout dans ce village mourait. Je parcourus les rues, regardant parfois à travers les fenêtres pour voir s'il n'y avait pas quelqu'un.... En vain. Au détour d'un chemin, j'entendis un râle provenant de la maison qui faisait le coin. J'entrais, cassant la porte : la personne était peut-être en danger, je devais la secourir.

Allongé sur le sol, un homme leva la main vers moi, suppliant. Il réussit à articuler ces mots :
-Aiiii... Aidez-moi... V... Vvv... Vampire...
Sa main retomba. Vite. Un vampire l'aurait mordu ? Vite, je peux encore le sauver. Il faut extraire le venin. J'appliquai mes mains sur son torse, et sondais son sang, qui, heureusement pour moi, contenais assez d'eau pour que je puisse le traiter. Peu à peu, je fis se diriger le poison entre ses cellules, puis, il s'évapora simplement, sortant de son corps grâce à ma maîtrise. Bien.

Il se releva difficilement. Je lui passais de l'eau sur le visage, et le réhydratais directement de l'intérieur. Quelques minutes plus tard, il reprit pleinement conscience, et put même se lever. Il me dit que tout le village avait été attaqué par un seul et même vampire, et toute sa population, décimée. Lui avait feint la mort, pour tenter de s'en sortir, mais il n'avait gagné qu'un sursis. Si je n'étais pas intervenu, si je ne l'avais pas entendu, ou si je n'étais ni mage de l'eau, ni mage de lumière, il serait mort.

-Je vais vous laisser vous reposer. Dès que vous vous en sentirez capable, marchez un quart d'heure en direction du Sud-Ouest. Vous trouverez un grand lac, pour vous désaltérer. Après, si vous le souhaitez, vous pouvez sûrement demander asile auprès du village qui lui est voisin, les habitants y ont l'ai serviable, et il ne vous faudra que trois minutes pour y arriver, depuis le lac, en direction du Sud.

L'homme me remercia, disant qu'il irait se réfugier au village. Je luis fis apparaître, pour le voyage, un bloc de glace ultra-léger, qui lui permettrai de se rafraîchir, il n'aurait ensuite qu'à le jeter dans le lac, puis le quittais, espérant qu'il survive, et qu'on l'accepte dans le deuxième village. À la sortie du bourg, je remarquais dans le sable des traces de pas d'humain, et de sabot de cheval. Quelqu'un aurait donc survécu ? Wouah, il faut que je rencontre cette personne, pensais-je. Je recréais ma bulle d'eau, constatant que les traces s'étalaient sur plusieurs kilomètres.

Au bout d'une heure, les traces bifurquèrent, et arrivaient derrière un rocher. Je lâchais le pouvoir sur ma bulle d'eau, qui se répandit autour de moi. Je n'étais pas trempé, bien évidemment, mais il fallait que je ne fasse pas trop de bruit. Au cas où... Après tout, c'était bien l'épée, qui m'avait menée jusqu'ici, donc, à cette personne. Je ne savais pas si elle était censée avoir un pouvoir positif ou négatif... Je me décidai enfin, et fis face. C'était une jeune fille, aux cheveux d'or, qui descendaient élégamment en de douces boucles sur ces épaules. Ses trais étaient fin, et son nez n'échappait pas à la règle. Ses vifs yeux verts étaient profonds, et pleins de défi :

-Qui est tu, dit elle, avec le ton haché marquant sa méfiance infinie.

-Je suis Remucer, Mage de l'eau de l'alliance Astral. Je viens de passer par le village voisin, et j'ai aperçu vos traces. Vous avez apparemment survécu au massacre perpétré par ce Vampire. C'est Étrange, d'habitude, les Vampires sont des Éternials tout ce qu'il y a de plus innoffensifs. Enfin, non, ils sont certes dangereux, mais ne feraient pas... Ça... Bref, je crois bien que vous et votre monture avez besoin d'aide, et comme je suis un mage de l'Eau, il se pourrait que vous trouviez cette aide inespérée, de l'eau dans le désert, dis-je en souriant, puis, je lui tendis ma main, et continuai : Et vous, qui êtes-vous ? À qui ai-je l'honneur ?

Je lui tendis la main, et entamais un long monologue, aucunement perturbé par ses stratagèmes, alors que nous nous regardions droit dans les yeux :

-Soit. J'ai beau avoir horreur des meurtres sous toutes leurs formes, et encore plus des carnages tels que celui-ci, nous sommes en plein désert, il n'y a pas d'eau, vous êtes une très jolie jeune fille, et je ne suis pas un monstre. De plus, il se trouve que, fait fort étrange, mon épée m'a conduit jusqu'à toi. Ce n'est pas un hasard, et je lui fais donc confiance. Va, prends ma main, je ne te hais point. Mais à partir de ce moment, saches que je t'aiderai, et, par conséquent, je ne peux tolérer aucun écart de ta part.

Je repensai l'espace d'un instant à ce carnage, et reculais un temps ma main.

-Cependant, Gabrielle, il est une chose ou deux que je ne peux m'expliquer. Je sais que tu avais soif, et que nous sommes loin de tout, tu n'aurais jamais pu trouver assez de poules au village pour te rassasier, et même si tu n'es pas entièrement excuser pour ce méfait, j'ai foi en toi, et je suis convaincu que tu peux changer - c'est étrange, je cerne très bien les personnes dès le premier regard... Sans jamais, ou presque, me tromper - mais... ce que je ne comprends pas, c'est par exemple pourquoi tu n'as pas laissé assez de sang à tes victimes pour qu'elles puissent survivre. J'imagine que tu n'as pas dû y penser, pressée par le temps... En outre, tu as décimé la totalité du village... Pourquoi tous ? Pourquoi ne pas en laisser en vie ? Cela, je n'en ai pas la moindre idée... Mais, bref, je m'égare !

Je ne lui avais pas laissé le temps de me répondre, mon innocence, ma crédulité et ma désinvolture parlaient pour moi : je m'en fichais. Je voulais l'aider. J'étais de l'eau dans le Désert. Ou du moins... En apparence. Il n'en était rien en réalité, et je savais que cette vampiresse était potentiellement dangereuse. Je me devais de la surveiller, de l'empêcher de nuire. Guetter le moindre de ses mouvements, ses rechutes, ses pulsions, mais aussi ses regrets. Elle pouvait représenter un énorme, un colossal danger pour l'Alliance Astral. Ou une alliée de choix si jamais - oui, si jamais - nous devenions amis. J'allais la garder sous mon aile (c'est le cas de le dire), même de loin, et tenter de se rapprocher d'elle. Avec une vraie relation, si possible, plutôt qu'une pâle copie de la réalité juste pour la surveiller : elle me semblait femme des plus intéressantes. Elle ne se douterait de rien. L'espionnage version ange innocent protecteur de la justice et des habitants de son alliance. J'avais l'air naïf ? Parfait. Je souris intérieurement.

Bien que j'espionne cette jeune vampiresse, pensais-je, je peux très bien devenir son ami, ce n'est pas incompatible. Nous verrons comment évolueront les choses. Maintenant, je suis complètement ouvert à une amitié entre nous. Tant qu'elle ne tue pas tous les membres de la cour sur un coup de tête et d'un coup de dents, alors qu'elle n'aurait pas eu son quatre heures. À propose de cour... Il me semble judicieux d'aller parler d'elle à la Grande Reine d'Astral Sérénade Mo. Je aller quérir une audience auprès d'elle.

Il ne s'était encore écoulé que quelques secondes, une dizaine tout au plus, depuis que je m'étais tu. Et le silence régnait toujours. J'avais tout fait pour, d'un certain côté... C'est pourquoi je m'empressai de le briser, avant qu'elle ne puisse contre-argumenter.

-Eh bien, Gabrielle, quoi qu'il en soit, je suis ravi de faire la connaissance d'une ravissante jeune fille telle que toi ! Enchanté, donc !

Je ravançai ma main, plongeant mes yeux bleus dans les siens, vert émeraude. Gardant ce rôle un peu niais, je l'avoue, je constatais néanmoins que celui-ci fonctionnait à merveille. Comme disait ce vieux et très connu proverbe terrien (mais cependant souvent incompris dans sa grande profondeur), il faut se méfier de l'eau qui dort. Or, en l'occurrence, en ce moment précis, à cet endroit précis, il n'était rien (ou personne, plutôt) de mieux placé que moi pour représenter cette eau, si calme et belle que l'on n'aurait jamais, Ô grand jamais, le moindre soupçon, la moindre méfiance... Jusqu'à ce qu'on se prenne un tsunami dans la figure...

-Ah, et, au fait, rajoutais-je d'un air malicieux, rentrant dans son jeu, je sais bien que les vampires ne sont pas forcément Éternial... J'en connais une, d'ailleurs qui...

Je me repris. Non, je ne dirai rien, la laissez dans le doute. Oui, parfait.

-Non, oublie ce que je viens de dire. Mais, puisque tu n'es pas Éternial, et que tu appartiens forcément à une alliance... De laquelle fais-tu partie, toi ?

Elle avait essayé de m'embrouiller, elle avait essayé de faire planer le doute, elle avait essayé... Mais elle avait joué avec le feu... euh, non, l'eau. Même si je ne savais (pas encore, du moins) à laquelle des alliances elle pouvait bien appartenir, elle venait de m'offrir une occasion de détourner son piège, et ainsi de faire ne sorte qu'elle s'en soit tendu un à elle-même...

Elle allait être forcée de me dire son alliance. Elle ne pouvait me dire qu'elle était Éternial, cela coulait de source, de ses propres paroles, de la réflexion qu'elle venait de me faire, qu'elle ne l'était pas.

Toujours la main tendue, et même si elle ne pouvait rien en voir, en raison de mon masque d'ombre qui me camouflait éternellement le visage, sous celui-ci, mon regard encore plongé dans le sien, je souris.